Réduction de Licorne, Accords de Défene, Nouvelle armée ivoirienne Dodo Bohou Jean-Marie, docteur en géopolitique et en stratégie militaire explique tout.

Publié le par Messeb

Source : L'Inter : Dernière Mise à jour : 12/02/2009 (Auteur : Hamadou ZIAO )

Il s’appelle Dodo Bohou Jean-Marie, il est Docteur d’Etat en géopolitique, de l’université de la Sorbonne nouvelle, Paris III, diplômé de formation supérieure en relations internationales, audit diplomatique et stratégique de l’école internationale de Paris et de l’ancienne école supérieure de guerre de Rio de Janeiro au Brésil. Il est chargé de cours des sciences politiques, de géopolitique et de relations internationales au département des sciences politiques de l’UFR des sciences juridiques, politiques Vous êtes docteur en géopolitique. Qu’est-ce que votre formation renferme exactement ? La géopolitique analyse d’abord les interactions de pouvoir et de puissance entre les Etats. En termes clairs, la géopolitique étudie l’anatomie de l’Etat, ce que l’Etat renferme dans ses ressources stratégiques. Vous comprendrez l’émergence d’autres puissances qui viennent vers l’Afrique, non pas par philanthropie, mais parce que l’Afrique renferme des politiques stratégiques, d’où l’intérêt de ces Etats vers l’Afrique. Donc la géopolitique permet de comprendre l’intérêt qu’un pays a pour un espace stratégique donné et en même temps, met en évidence les rapports de force et de puissance entre ces nations. Comment peut se traduire de façon concrète et visible l’intérêt d’un Etat pour un autre Etat ? J’ai animé récemment une conférence sur le rôle de la Chine en Afrique. Vous savez que pendant la guerre froide la Chine n’était pas assez présente en Afrique. Mais depuis la fin de la guerre froide, depuis le 9 novembre 1989, pratiquement début 1990, la Chine est présente en Afrique, non pas par philanthropie mais parce que l’Afrique regorge de pétrole et de produits scientifiques qui intéressent la Chine pour son développement. Et c’est pourquoi ces puissances viennent sur les espaces de l’Afrique pour extraire, pour prendre ce dont elles ont besoin pour leur développement industriel. Et vous comprendrez qu’aujourd’hui, il y a une guerre entre le monde occidental et la Chine. Les Etats-Unis d’Amérique ont aussi un effet stratégique en Afrique à partir du Golf de Guinée, qui est un espace stratégique au niveau du pétrole. Vous savez que le Golf de Guinée produit plus de 25 % du pétrole et donc intéresse les Etats-Unis et la Chine. Et là nous avons un retrait relatif des puissances européennes telles que la France et l’Angleterre, d’où une rivalité entre les Etats-Unis et la Chine en Afrique. C’est ce qui fait l’importance de la géopolitique. Malheureusement, je vois que les intellectuels africains ou les dirigeants africains ne comprennent pas encore l’analyse géopolitique des Etats. Or, c’est à partir de l’analyse géopolitique qu’on comprend les forces et les faiblesses de l’Etat. Il faut donc l’enseigner aux jeunes étudiants, et c’est ce que je fais à l’université de Cocody à Abidjan. Certaines puissances occidentales ont une main-mise sur leurs anciennes colonies en Afrique. Elles sont véritablement présentes à travers les ambassades mais aussi avec des forces militaires. Comment expliquez-vous cela ? La présence des forces militaires sur d’autres espaces permet à un Etat d’avoir des glacis, c’est-à-dire que ce sont des espaces qui permettent à un Etat d’intervenir sur d’autres espaces en dehors de son territoire et en même temps d’avoir une nette influence, d’abord pour ses débouchés ensuite pour son rayonnement international, d’où le glacis, l’espace d’influence qui permet à l’Etat d’avoir une aire d’influence ailleurs. C’est la première des choses. Deuxièmement, les bases permettent aux Etats qui en sont détenteurs d’avoir un règlement international. Au-delà de l’espace que j’ai sur le plan national, j’ai d’autres espaces ailleurs. C’est le cas de la France et des Etats-Unis. L’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord) permet aux Américains d’avoir un rayonnement en Europe occidentale. Souvenez-vous que la France qui était membre de l’OTAN, qui était l’une des structures intégrées de l’OTAN, s’est retirée en 1966. N’oubliez pas également que l’université d’Ofine, dans le 16ème arrondissement, était en réalité une base de l’OTAN. Et les Français se sont rendu compte qu’ils ne pouvaient pas avoir une souveraineté en ayant sur leur territoire une base étrangère. Donc, ils ont demandé aux forces de l’OTAN de se retirer. Mais la France reste quand même membre de cette organisation et non une structure intégrée. Il y a une différence. Malheureusement, la France qui a compris qu’elle ne peut pas avoir sa souveraineté et avoir une base sur son territoire, a des bases en Afrique. La question est de savoir pourquoi. Cela nous ramène en Côte d’Ivoire, où justement la France à une base militaire. Et l’actualité nous apprend que l’effectif de cette base militaire, notamment la force licorne, sera réduite suite à une décision de l’Etat français. Quel commentaire vous inspire cette décision ? Je pense d’abord que cela est dû à l’accalmie qu’il y a en ce moment. Nous avons connu une crise militaire depuis 2002, ce qui a occasionné l’arrivée de la force Licorne à la demande de la Côte d’Ivoire. Mais n’oublions pas qu’avant la venue de la Licorne, il y a avait la présence du 43ème BIMA qui n’a rien à voir avec la force Licorne. Si l’Etat français se rend compte que la force Licorne est de trop et qu’elle demande la réduction de son effectif, je crois qu’il faut comprendre une chose. Le départ de 2000 ou 5000 soldats français n’enlèvera rien dans la capacité militaire de la France. La France peut fermer la base du 43ème BIMA mais elle peut, de par le Gabon et Djibouti, intervenir militairement en Afrique, particulièrement en Côte d’Ivoire. La question qu’il faut se poser aujourd’hui, c’est de savoir si la Côte d’Ivoire a les moyens de sécuriser son territoire national. La Côte d’Ivoire a-t-elle une armée pour faire face aux différentes guerres ? La question est là. Et ce n’est pas le retrait des soldats français. Quand je lis les journaux, certaines personnes, des hommes politiques s’en réjouissent, mais les mêmes causes peuvent créer les mêmes effets. Si les Français quittent le territoire ivoirien, cela veut dire qu’ils ne sont plus attachés à la Côte d’Ivoire. S’il y a une autre crise et que nous n’avons pas d’armée pour faire face, qu’allons-nous faire ? Nous allons encore faire appel à la France ? Donc il faut réfléchir à une armée ivoirienne forte, mais laquelle ? Doit-on comprendre que les autorités ivoiriennes doivent demander à la France de rester ?La question n’est pas de demander aux Français de rester. Le départ des Français est souhaité et même la France l’a prévu. J’ai encore un document ici, dans lequel la France a prévu son départ depuis longtemps. Ils vont partir, mais que fera l’autorité ivoirienne face à ce vide stratégique ? Avons-nous une armée pour défendre les intérêts vitaux de l’Etat de Côte d’Ivoire ? Voilà la question. Or actuellement nous avons une armée hybride. Après l’accord de Ouagadougou, on veut former une armée, c’est-à-dire les Forces armées des Forces nouvelles et l’armée loyaliste, pour former une armée nationale. Mais il y a un problème. Pour moi, en tant que géopoliticien et spécialiste des questions militaires, une armée loyaliste, qui a suivi des cours d’état-major et une armée des Forces nouvelles qui n’en a jamais suivi, où on a vu des coxers qui se sont trouvés là dans une crise et qui ont pris des armes, les mettre dans un même format posera problème. La première des choses à faire, c’est de former les soldats des Forces nouvelles à la loyauté d’une force républicaine, donc à l’EFA (Ecole des Forces Armées). Il faut une formation pendant un an comme les Angolais l’ont fait chez eux, pour qu’on leur inculque la doctrine d’une armée républicaine, avant d’intégrer l’armée ivoirienne. Deuxièmement, on peut prendre un format, c’est-à-dire prendre des éléments des Forces nouvelles et d’autres éléments des groupes d’autodéfense pour créer une armée. C’est ce que j’appellerai une légion éburnéenne. Qu’est-ce qu’une légion éburnéenne ? Ce sera le prototype de la légion étrangère française, c’est-à-dire que ce sont des Ivoiriens qui n’ont pas fait une école de guerre, qui n’ont pas fait des exercices des Forces armées nationales de manières régulières et qui ont connu des guerres asymétriques, c’est-à-dire des guerres qui ne sont pas normales. Ce sont des individus, des bandes armées qui affrontent un Etat. Et comme ces éléments des groupes d’autodéfense et des Forces nouvelles sont aguerris à ce genre de guerre, on peut créer une force dite la légion éburnéenne pour faire face à ces nouvelles formes de guerre appelées les guerres asymétriques, et l’armée nationale qui est là fera face aux guerres conventionnelles. Donc nous aurons deux types d’armée. Une armée pour faire face aux guerres asymétriques, donc une unité spéciale, et l’armée régulière. En attendant que ces formations soient mises en place, qu’est-ce qu’on fait ? C’est une bonne question. Je pense que dans une crise comme ce que nous avons vécue, l’Etat doit réfléchir à son destin. Quand vous prenez la capitulation, l’Allemagne et le Japon ont repensé leurs destins et aujourd’hui, ce sont des puissances industrielles et économiques. Aujourd’hui, que fait la Côte d’Ivoire ? Voilà 8 ans de guerre que nous avons passés, et nous n’avons pas formaté la culture stratégique ivoirienne. Il faudrait, pour pouvoir faire cela, créer au niveau de l’état-major un centre d’études stratégiques pour que les civils qui ont suivi une formation dans ces questions stratégiques et militaires travaillent ensemble pour repenser la défense et la sécurité de la Côte d’Ivoire. C’est indispensable. Avant que nous sortions de cette crise, il faut que nous ayons une Côte d’Ivoire nouvelle avec un projet global qui permette une culture nouvelle, de repenser l’Etat, c’est-à-dire que chacun se sente ivoirien et défende l’intérêt national. On peut ne pas être d’accord sur certaines choses, mais dès l’instant où les intérêts nationaux sont menacés, on se met d’accord pour défendre la nation. Et quand je pense qu’il y a certains partis politiques, dont je ne citerai pas les noms, qui ont demandé à l’ONU de mettre sous tutelle leur propre pays. C’est une aberration. Au-delà de la réduction des effectifs de la force Licorne, il y a la question de fond, à savoir les accords de défense entre les deux pays. Les accords de défense qui ont été signés entre la Côte d’Ivoire et la France, il faut faire très attention. C’est après les indépendances quand même. Au sortir des indépendances en 1961-1962, la Côte d’Ivoire était un nouvel Etat. Mais là encore, on le constate, un nouvel Etat face à une Guinée qui venait de dire non, et on a vu les conséquences. Face à un Etat ghanéen qui, en 1957 a eu son indépendance. La Côte d’Ivoire avait besoin de stabiliser ses institutions et c’est dans cet esprit que le président Houphouët Boigny a signé ces accords. On peut lui reprocher tout mais il faut reconnaître, et moi en tant que géopoliticien, que les faits historiques qui ont permis de stabiliser la Côte d’Ivoire sont déterminants dans les rapports de la Côte d’Ivoire moderne. Mais il appartient aux nouveaux hommes, au nouveau pouvoir, de repenser les accords de défense comme le président Laurent Gbagbo et Sarkozy sont en train de discuter. Nous ne connaissons pas les fondements de ces discussions mais il semblerait, selon les journaux, qu’il y aura un retrait progressif, sinon la fermeture du 43ème BIMA. On parle de plus en plus de souveraineté, et il y a que la présence militaire est perçue comme un frein à cette souveraineté de l’Etat. Vous savez, la souveraineté est chère aux Africains. Mais en Italie par exemple, il y a une base militaire de l’OTAN. L’Italie est pourtant un Etat souverain. Il y a des Etats où il y a des bases militaires. Cela n’entache pas la souveraineté. On veut être souverain et on n’a même pas les moyens de payer ses fonctionnaires. Où est la souveraineté ? Je crois que la première chose, c’est d’assurer les conditions économiques, sociales des citoyens et ensuite maximiser la sécurité. Le plus important, c’est ça ; ce n’est pas les bases militaires. Les bases militaires en elles-mêmes n’entachent pas notre souveraineté, mais c’est le comportement de ces bases. Quand un Etat comme le nôtre, qui a eu un accord de défense avec la France, est agressé et que l’Etat ivoirien demande à la France de réactiver ces accords de défense et que la France refuse, en ce moment il y a un problème. C’est là qu’il y a le hic, sinon les bases ne posent pas de problème. On a vu cela avec la France quand la Côte d’Ivoire a été attaquée. Quelles explications vous en faites ? Cela veut dire simplement que les intérêts défendus par celui qui est au pouvoir ne vont dans les mêmes orientations que la France. C’est pourquoi la France a refusé d’activer les accords de défense. Je suis même un peu surpris que le Président de la République prenne le pouvoir. En tant qu’historien, il sait déjà que la Côte d’Ivoire fait face à des ratés géopolitiques, dans la mesure où quand il prend le pouvoir en 2000, la guerre froide n’existe plus. Deuxièmement, en France, il y a un système avec un président de droite et il y a un autre système où il y a la gauche au pouvoir, c’est que le Premier ministre est de gauche. Dès l’instant où le pouvoir est pris par un président de gauche, un historien, le Président doit comprendre que les relations ne peuvent plus être les mêmes. Que ce soit la gauche ou la droite au pouvoir en France, dès l’instant où les intérêts de la France sont mis en cause, il n’y a pas de solidarité politique. Ce sont d’abord les intérêts de la France qui comptent. Le président Gbagbo devrait donc savoir qu’il n’aurait pas la paix ?Je pense qu’il le sait, parce qu’il n’y a que les intérêts qui comptent entre les Etats et non les amitiés socialistes. Ce sont les intérêts qui comptent et on l’a vu. D’abord pendant la crise, le parti socialiste français n’a pas soutenu la Côte d’Ivoire. C’est clair, et c’est d’abord l’intérêt français qui compte. Et quand le Président vient et qu’il dit qu’il veut développer le multilatéralisme, c’est-à-dire que le marché ivoirien est ouvert à tout le monde, cela veut dire qu’il a les moyens de protéger la Côte d’Ivoire. Parce qu’en face, celui qui avait la main mise sur l’Etat de Côte d’Ivoire allait réagir. Je prends le cas du chien que vous avez chez vous, auquel vous donnez un os chaque matin. Et un matin, vous lui arrachez l’os. Mais il va réagir violemment. Et cela veut dire que vous avez les moyens de le faire taire ou alors vous créer des alliances pour vous protéger de votre chien qui devient dangereux. Pourquoi n’avons-nous pas créé des alliances avec d’autres puissances du Conseil de sécurité pour nous protéger au cas où la France nous attaquerait. On ne l’a pas fait. On n’a pas compris la grille de lecture du système international. Il faut la comprendre. En géopolitique, il n’y a que les intérêts qui comptent et non les amitiés. La Côte d’Ivoire n’a pas non plus été soutenue par les pays de la sous- région. Comment expliquez-vous cela ? Je ne veux pas citer des Etats, mais vous devez savoir que dans une entité politique, comme le disais le professeur Raymond Aron, il ne peut y avoir plusieurs acteurs. Il y a un seul acteur. Le seul acteur de la sous-région, c’est le Nigeria. Quand on a été attaqué, le Nigeria a été le premier pays à nous avoir envoyé des avions pour nous protéger. Mais dès l’instant qu’après quelque temps, il y a eu une montée en puissance de la force militaire de la Côte d’Ivoire. Souvenez-vous d’où a été décidé l’embargo. C’était au Nigeria. Et avec combien de pays ? Avec 6 pays, 5 pays francophones et le Nigeria. Dans une unité politique, il ne peut pas y avoir deux maîtres. Il y a un seul maître et on devait le comprendre. Et le maître c’était le Nigéria ? C’était le Nigeria, et la Côte d’Ivoire doit s’en rendre compte. Dans la sous région, il y a des pays qui ont profité de la guerre, de la crise ivoirienne pour s’enrichir. Il y a d’autres qui ont profité pour rayonner au plan de la démocratie et d’autres encore au plan militaire. Et vous voyez que les investisseurs se sont déplacés de la Côte d’Ivoire vers les pays plus stables comme le Ghana. Et Côte d’Ivoire a perdu. C’est de bonne guerre, car entre les Etats, il n’y a que les intérêts et non l’amitié.
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article